Qui sommes nous...

Les trois Gros et Kiki le chien... Nous vivons à bord d'un voilier nommé Carpe Diem, et pour être à la hauteur de cette devise horacienne, nous partons à l'aventure et à la rencontre de la nature sauvage, des paysages uniques et bouleversants et des gens, dans toute leur diversité...

jeudi 11 août 2011

Capri : destination à 215€ la nuit






Nous disons au-revoir au Château Aragonais et aux barques multicolores d’Ischia Ponte et nous partons vers Capri, cette fameuse destination bien branchée. Il y a juste assez du vent pour mettre les voiles et ne pas renverser la rougaille fumant sur la table et faite avec les saucisses datant encore de Porto Vecchio. Heureusement que les chipolatas ne daubent pas vite, car les entrailles de notre frigo ont tendance de pousser des nombreux aliments aux oubliettes…



La traversée est assez courte et très vite nous apercevons les détails des couleurs… ou plutôt leur manque… Une montagne verte pâle et quelques tâches blanches des maisons. L’ensemble est assez terne comparés aux îles Pontines ou à Ischia, mais nous savons bien que la première impression peut être trompeuse. Nous jetons alors notre ancre dans la zone de mouillage à droite de la marina, à quelques 22 m de profondeur (ben oui, même si Capri est d’origine calcaire et non volcanique, ces fonds restent très profonds).



Il est déjà 8 h du soir alors nous ne perdons pas notre temps et filons en zodiac sur la terre ferme. Les environs du port sont vraiment mignons, même si les uns après les autres, les commerçants plient déjà leurs boutiques. Cela nous étonne un peu, mais bon, chaque île a peut-être ses propres coutumes… Pour l’instant nous partons à la recherche du funiculaire que Patrick a aperçu de loin, et qui nous emmènerai vers les hauteurs et la vieille ville de Capri. L’entrée de funiculaire se trouve à quelques 200m à droite du port et nous nous précipitons tous excités, avec nos billets (1.60€ aller simple), vers le dernier wagon de téléphérique. Malheureusement une sorte de brume épaisse nous gâche la vue des paysages : tout paraît fade et dépourvu des couleurs (je vous assure ce n’est pas la faute des vitres opaques). On arrive au sommet.








Si on cherchait une Rolex pour Patrick ou un nouveau collier de diamants pour moi (l’ancien est un peu démodé) on serait sûrement au bon endroit. A part la place principale avec son église et une horloge, qui donnent l’impression plutôt décontractée, le reste du décor est bien plus snob, plus bling-bling, plus… tout. On n’a pas la carrure des clients potentiels qui achètent une bouteille de vin à 400€ alors on se faufile anonymement dans les ruelles étroites et piétonnes (ce qui nous interpelle d’ailleurs : on croise beaucoup d’hôtels de 4 ou 5 étoiles dans la vielle ville, mais pas une seule voiture… ils doivent y avoir des passages secrets…). On se promène sans trop de conviction et je suis désolé pour tous ceux qui ont visité et adoré Capri, mais nous avons du mal à accrocher: en deux heures le tour est fait et nous préférons retourner sur le bateau. De retour sur la place principale nous jetons un dernier coup d’œil sur le panorama vu d’en haut, et là, à mon plus grand effroi, nous apercevons des nuages très très noires à l’horizon, illuminés de temps à autre par les éclats menaçants des éclaires. Un orage…

De retour chez nous on mange vite un petit diner et on se prépare pour la nuit. Je ne peux quand même pas m’empêcher de jeter des regards furtifs vers le ciel et les nuages denses, éclaires par les décharges électriques. « Ne t’inquiètes pas » essai de me rassurer Patrick, « ces orages sont sur le continent, on a rien à craindre ». Parles-moi encore. Une fois la peur installé, je n’arrive pas à m’en débarrasser si vite.

Le sommeil ne veut pas venir. Toutes les 10, 15 min je regarde par la fenêtre en guettant les signes du cataclysme imminent. A part les éclaires, c’est au tour du vent et de la mer de se lever et j’ai l’impression que la chaîne devant va nous lâcher d’une minute à l’autre, tellement ses grincements sont horribles et pleins d’efforts. Vers 4 heures du matin j’ai du m’assoupir un instant car c’est Patrick qui me réveille : « Viens vite, on va au port. L’orage arrive droit sur nous».  Je m’habille machinalement en bien fermant ma veste polaire. Dehors il pleut. En rangeant les affaires on voit un autre bateau, mouillé beaucoup plus loin, passer en vitesse devant nous et éviter de justesse les rochers. L’équipage est déjà dehors et bien à temps ils réussissent à lever l’ancre et de partir vers le port. Quelle nuit…

Les nuages semblent nous contourner un peu et on décide d’attendre. Patrick ramène des tasses de café fumantes et on s’installe dans le cockpit, entourés par la nuit sombre, le vent et les vagues. Vers 6h les mouvements du bateau deviennent insupportables : on a l’impression que la chaîne va céder, tellement elle travaille pour retenir l’avant du bateau, projeté dans les aires par les vagues immenses. On doit partir le plus vite possible.
Au moment de lever l’ancre j’aperçois notre voisin français émerger de son bateau. Je lui fais comprendre avec le langage des signes qu’on va s’abriter au port et il me répond qu’il va faire la même chose bientôt. Il y a à peu près 30N de vent maintenant, mais ce sont plutôt les vagues qui m’impressionnent : nous sommes obligés de pousser la manette du moteur à fond pour pouvoir avancer.  



En arrivant au port nous repérons vite le « ponton d’accueil » et les deux places libres entre un voiler de notre taille et un gros, gros bateau à moteur, bien luxueux. Une petite consultation d’équipage et nous nous lançons dans la procédure d’amarrage. Sur le quai, malgré cette heure matinale il y a déjà trois hommes prêts à nous donner un coup de main. Sympas ces Capriçois… Ils me tendent la pendille que j’attrape habilement avec la gaffe. Je cours à l’avant et je tire, je tire, je tire… au bout de vingt mètres de ficelle, je commence sérieusement à me demander s’il y a quelque chose au bout. Le temps d’une réponse le bateau se tourne dangereusement et se couche sur le molosse à moteur. Je retiens mon souffle en comptant dans ma tête les milliers d’euros qu’on va être obligés d’avancer pour dédommager ce voisin fastueux. Mais le bon Dieu nous épargne au dernier moment en envoyant les par-battages la où il faut. OUFFFFFF…. Patrick arrive en courant (d’abord en colère mais il se calme vite en voyant les rouleaux du fils à tricoter que j’ai ramené à bord) et on tire ensemble les derniers mètres pour arriver enfin à la pendille. Le bateau se redresse et nous pouvons souffler à nouveau. Tout se calme, sauf peut-être le bateau lui-même, qui est balloté presque autant qu’à l’extérieur…

Une heure plus tard le bateau de nos voisins de mouillage arrive enfin, convoyé par les mêmes employés qui nous ont aidés plus tôt. En plus un plongeur en combinaison de travail ramène le zodiac, l’amarre et disparaît aussi vite. Tout ce passe très rapidement et le ponton est à nouveau désert, avec ce bateau français en face de nous, ouvert et sans personne à bord… Mon imagination se lâche en tournant à 100 à l’heure : et si les messieurs-dames sont tombés à l’eau, ou s’ils sont partis dans leur survie, emportés maintenant bien au large… ?
L’énigme se résout une demi-heure plus tard, quand le couple de Français arrive sur le ponton sain et sauve. En fait, pour assurer leur mouillage, ils ont pris une bouée de pêcheurs et au petit matin les bouts de la bouée se sont emmêlés à l’ancre pour enfin se bloquer dans l’hélice du moteur. Quelle chance qu’ils ne se soient pas retrouvés sur les rochers… mais le bateau doit subir quand même quelques réparations majeurs et il y a sûrement des endroits moins chers pour cela que Capri…
La vie se calme à nouveau dans le port de Capri, et je profite pour faire un peu de lessive et de ranger l’intérieur de notre habitacle. Comme on vit principalement à l’extérieur, dans le cockpit, on a la fâcheuse tendance d’oublier la place habituelle des choses qui sont maintenant éparpillées partout.  On est bien chahutés, même amarrés au quai, quand soudainement tout se met à bouger dans tous les sens : on monte, on descende, à droite, a gauche… On court sur le pont pour voir ce qui se passe : ce n’est qu’un des innombrables ferries qui rentrent et sortent du port à vive allure, en faisant valser tout le monde.



Pour comprendre la brutalité de ce phénomène il faut savoir que le système de construction de ce port des riches est basé uniquement sur les pontons flottants. Et le mot « flottant » prend un nouveau sens à Capri. Même si le temps est calme, il  faut éviter tous gestes brusques, surtout au niveau des jointures, qui ont l’air de vouloir se dissocier à tout moment. Mais par gros temps, et en présence d’un ferry, il devient carrément impossible de se tenir debout sur ce dispositif, qui non seulement se lève et descend, mais aussi bascule d’un coté à l’autre et gondole comme un tapi secoué… A un moment Julie me demande si elle peut faire la route jusqu’à la sortie du port à quatre pattes. Je lui réponds non, mais à vrai dire, cette idée a fleuri également dans ma tête.



Pendant ce temps les trois mousquetaires de la capitainerie du port de Capri sont revenus sur le quai et une discussion avec l’équipage du bateau voisin s’anime. Nous ne suivons pas les détails mais soudain un des marins italiens saute sur le bateau, démarre le moteur et en donnant les ordres au jeune équipage hollandais, déplace le bateau à l’intérieur du port (plus tard nous apprenons que les jeunes voulaient partir en mer, compte tenu qu’ils ont loués ce bateau pour faire de la voile ; les responsables du port ont néanmoins intimidés l’équipage, en disant ils ne pourraient plus jamais s’arrêter sur Capri, s’ils partaient, etc.…). Ensuite, il nous montre de doigt en disant « C’est votre tour ». Cette attitude est tellement agaçante que Patrick a la présence d’esprit de répondre : « On ne peut pas. Nos batteries sont complètement à vide, il faut qu’on les charge ». Ils nous laissent tranquilles pour le moment et on profite vite pour prendre la deuxième pendille. Nous décidons de ne plus quitter cette place, aussi pourrie soit-elle (de toute façon les autres places ne sont pas meilleures – voilà les avantages des pontons flottants). En même temps Patrick fait face au moment de vérité tant reflué : la régularisation de notre séjour ici, et à son retour nous ne sont pas déçus et avalons pas tout à fait dignement les 215€ par nuit…

En milieu d’après-midi nous commençons petit à petit à nous habituer aux mouvements hasardeux et de grand ampleur de notre navire et on se dit qu’on n’est pas aussi mal de ce côté du port. Je sors ramasser notre linge, qui a séché à une vitesse grande V, quand je discerne non loin du port un catamaran se battant rageusement avec les vagues. « Viens voir – je préviens Patrick – on va avoir des voisins. Il faut leur préparer une pendille ». Je détache un de nos par-battages pour « au cas où » pendant que Patrick entreprend le fatiguant travail de ramasseur de ficelle qui sépare le quai de la vrai pendille. Le « tissage » terminé on attend patiemment et sereinement quand un nouveau marin, les mains dans les poches, fait son apparition sur « notre » ponton. « Vous faites quoi avec cette pendille – demande t’il en italien (mais on arrive très bien le comprendre) – vous en avez déjà deux ». « Ce n’est pas pour nous – je tente de le calmer – c’est pour les voisins ». « Les voisins ce n’est pas votre problème. Laissez ça !», aboie le marin en poussant avec son pied tous ces tours de corde si bravement récupérés. Encouragé par notre manque de réaction quelconque (en fait on était en train de se demander s’il n’était pas dérangé par hasard), il continue : « Et votre chien, qu’est-ce qu’il fait sur le quai ? Et pourquoi il n’a pas de muselière ? ». Comme la « coupable » était en train de dormir tranquillement derrière une borne d’électricité, on a envie de lui conseiller de se concentrer plutôt sur le bateau qui entrait dans le port, mais au lieu de ça Patrick siffle doucement pour appeler Kiki. Le grand cata est maintenant à quelques mètres de quai, et le marin se baisse enfin pour ramasser… notre pendille. « Non !!! – crie t’on en chœur – ce n’est pas la bonne !!!». Le temps de réparer son erreur il est trop tard pour prévenir le capitaine du catamaran de la présence d’une bouée et de son bout, qui se trouvent aspirés par un des moteurs. Le bateau tourne autour de cet axe imposé et s’approche dangereusement des rochers à côté. On essai de leur venir en aide en attrapant les bout lancés dans un geste de désespoir et on entend le marin crier dans son talkie-walkie : « A l’aide ! Venez vite, venez vite !!! ». Il n’a plus l’air aussi malin…

A un moment, quand nous avons pensés qu’il a réussi de se libérer de ses liens, le catamaran tend tous les bouts et revient en travers, directement sur nous. Je cours vers l’avant et mets mon par-battage en espérant vainement que ce petit bout de caoutchouc de 40cm de diamètre pourra retenir une force furieuse d’un Catana 472. Il n’a pas pu…Avec un bruit métallique un des flotteurs rentre entre dans le davier de l’avant, en coinçant mon tibia vers le support d’enrouleur de génois. Je m’imagine déjà le bleu (qui s’ajoutera aux autres : la pratique de la voile me donne des couleurs) et Patrick rajoute par-dessus un petit serrement, comme quoi j’ai eu beaucoup de chance d’avoir pu sortir ma jambe toujours attaché au corps…
Le combat du Catana n’est pas encore fini. Malgré une douzaine de personnes rassemblées maintenant sur le quai, il tape de toutes ses forces contre les supports en fer fortifiant le ponton flottant. Le bruit est presque insupportable : pas à cause de son intensité, mais à cause de dégâts qu’il signifie. Les Italiens se grouillent sans grande efficacité, mais au bout d’une demi heure ils arrivent à attacher le bateau à peu près correctement, pour disparaître aussi tôt de notre vue. Le capitaine de cata, un Français, et sa famille sont bien épuisés et on ne les embête pas trop avec le constat et toute la paperasse et le soir ce sont eux-mêmes qui nous demandent des nouvelles. Notre avant est bien défoncée et l’enrouleur n’arrive plus à travailler correctement. En plus les chandeliers sont tous tordus suivant un schéma trop compliqué à analyser. Les papiers dûment remplis, Patrick passe à la capitainerie pour demander la main courante, procédure assez habituelle pour les compagnies d’assurances. Mais une nouvelle surprise l’attend : « L’accident ? Quel accident ? Il n’a jamais rien eu » lui répond calmement le maître de port…



Nous n’allons pas vous dire : « N’allez jamais à Capri ! ». A vous de décider et de découvrir les endroits qui vont vous émouvoir. Mais on va sûrement vous dire : « N’allez pas à Capri avec votre bateau !!! ». Laissez-le amarré quelque part, à Ischia, ou à Ponza, et prenez une navette, pas tellement chère, pour découvrir les paysages de Capri. Ne tentez pas le diable, caché derrière les paillettes, les Rolex et des colliers de diamants.
« Capri, c’est fini… » oui, au moins pour Carpe Diem…

mercredi 3 août 2011

Ischia et Ischia

Je n’arrive pas trop m’imaginer comment dans l’ancien temps (pas tellement – il a 25 ans encore), on ne pouvait pas se servir d’un GPS ni d’un logiciel de navigation. Il fallait une précision immense et une rigueur extrême pour, utiliser le sextant, le compas de relèvement et autres, atterrir  au bon port. Maintenant la technique a tellement progressé, que depuis le départ, un ordinateur s’occupe pratiquement de tout : il gère la route et tous ces points tournants, il prévoit les possibilités de collision avec les autres navires, compte tenu de leur vitesse et leur direction, il nous prévient si on s’éloigne pour une raison ou une autre de la route tracée… Il ne sait pas encore hisser les voiles, mais à part ça il fait tout et avec une précision incroyable. Et malgré ça on arrive quand même à se tromper de port…




Comme chaque capitaine qui se respect, Patrick a minutieusement choisi notre mouillage à l’aide d’un guide côtier, en me vantant ses avantages : protégé par une digue, derrière un port de pêche, avec un château à coté et la ville principale de l’île à visiter… Pas mal le plan, sauf que quand il m’annonce qu’en va jeter l’ancre, je vois en effet un port avec quelques grandes vedettes amarrées à l’extérieur et trois ou quatre bateaux au mouillage, ayant l’air de bien s’amuser ballotés par la houle, mais pas de digue et encore moins de château… Mais quand le capitaine donne un ordre, le matelot obéit… je détache l’ancre.


Une fois Carpe Diem immobilisé (seulement au fond car sur la surface nous sommes en train de danser une samba avec les vagues), nous partons en vitesse vers le petit port joliment éclairé par des multiples lanternes. Une grande esplanade au milieu permet aux habitants et aux touristes de se faufiler entre les marins, pour sentir pendant un instant le vent du grand large. Nous nous promenons paisiblement dans la ville, concentrée autour d’une seule route temporairement fermée à la circulation, et on admire la vivacité de cet endroit. Il est déjà tard mais tous les magasins sont ouverts, avec leur vitrines colorées et attirantes, les gens entrant et sortant tous joyeux et bruyants. Au bout d’une heure Patrick commence à tourner un peut en rond : il voudrait trouver un spot internet pour synchroniser son ordinateur avec son téléphone pour pouvoir se servir de la carte Sim récemment acquit de son blackberry comme d’un modem. On se dit que dans un lieu aussi touristique, la connexion internet doit être quasiment omniprésente, mais non, et toutes les personnes interrogées secouent la tête en italien avec le regret. Sauf un homme qui nous court après. Si, il connait un endroit : ça s’appelle « il Triangolo », un bar juste en face du port. On s’installe avec des bières et Patrick commence sa synchronisation. Une heure après on est toujours là, de plus en plus fatigués et de plus en plus affamés. On décide de manger un bout, mais tous les restos sont pleins à craquer. Désespérés, on tente un snack-bar pour offrir à Julie sa barquette de frites, tant désirée, mais on nous apprend que tous les tables ont été réservées… Vers minuit et demi on réussit à trouver un petit kebab/pizzeria en dehors de la ville. Je ne même plus la force de manger…


La nuit nous fait une bonne surprise en lissant les vagues et au petit matin on se réveille bien reposés et en bonne humeur. Nous décidons de prendre un petit café en ville et on revient au Triangolo bar, moi pour poster mon blog, et Patrick pour continuer la bataille entre son téléphone et la carte Sim. Quand la bataille se transforme en une guerre ouverte et Patrick devienne de plus en plus irrité et grognant, j’estime qu’il est bien le temps de promener Julie et Kiki.



Nous nous baladons paisiblement au cœur de la ville, bien plus déserte mais toujours aussi mignonne, quand j’aperçois une inscription sur le mur, que je ne rate jamais : « Informazione touristico ». Une gentille petite dame nous accueille avec un grand sourire et nous sort toute sorte de cartes et de petits foldeurs concernant l’île.  Elle en déplie une devant nous en nous indiquant : « Nous sommes ici. Ici – dit elle en désignant un endroit à l’autre bout de l’île – c’est Ischia avec son port et le château Aragonais… ». « Attendez – je l’interrompe – nous ne sommes pas à Ischia là ? » « Non, nous sommes à Lacco Ameno ». C’est la meilleure…



On se précipite presque en courant pour rejoindre Patrick, mais l’expression de son visage nous fait taire pendant un moment. Il n’est plus irrité, il est furieux : après 3 jours d’essais, qui malgré tous ses efforts ont resté vaines, une petite voix dons son téléphone lui apprend qu’il vient d’épuiser son crédit de 35€… « Les voleurs, les enfoirés… » marmonne t-il encore quand je l’entraîne vers le port…







Nous partons pour Ischia, la vraie… Et à nouveau je ne comprends pas comment, malgré seulement deux miles nautiques qui nous séparent de notre prochaine escale, on trouve quand même le moyen de tomber en panne. Le moteur se tait, comme d’habitude. Pas de panique même si nous sommes très près de la côte. On essai de jeter l’ancre en vitesse et là, une nouvelle surprise : l’ancre ne veut pas descendre. On entend des clicks mais rien ne se passe. Le capitaine prend la situation en main et descend quelques 20 mètres de chaîne manuellement. On suit la même procédure : la clef de 17, la clef de 19, petit soufflage dans le tuyau, fermeture des vannes, ensuite la clef de 11, nettoyage du filtre à gasoil, ouverture des vannes, et c’est repartie comme en quarante…Ouais, pour 1 minute : exactement le temps qu’il nous faut pour remonter l’ancre et pousser la manette légèrement en avant et ce fichu son strident retentit à nouveau. On rejette l’ancre (toujours à la main) et on recommence, un peu inquiets maintenant, notre procédure : la clef de 17, la clef de 19, soufflage, fermeture des vannes… sauf que maintenant Patrick sort la grosse artillerie : on va ouvrir le réservoir de gasoil. Pour ceux qui s’y connaissent un peu, on n’est pas obligés de souligner comme c’est « chiant », mais pour ceux qui ne sont pas aussi familiers avec l’anatomie du bateau, voici une petite note explicative. Le réservoir du gasoil se trouve dans la cabine arrière, sous les matelas (qu’il faut coincer tout au fond) et sous le plancher vissé avec au moins 15 visses. Après avoir sorti toutes les visses il est temps de décoincer la plaque du plancher et de la sortir sans défoncer la porte de la cabine… Là on peut s’attaquer au réservoir lui-même : sa structure en inox possède un trou d’une vingtaine de cm de diamètre, fermé par une trappe avec ses 20 boulons, qu’il faut également dévisser un par un, en prenant soin de bien marquer la position initiale (seulement si on ne veut pas avoir des fuites à chaque gîte du navire). On y est…
D’habitude je mets volontairement la main à la pâte et je participe, malgré mes hauts de cœur, aux ateliers « techniques » sur Carpe Diem, mais là, je laisse Patrick s’aventurer en solo : il enlève son t-shirt en plonge sa main et son bras, jusqu’au cou, dans le liquide gras et puant, à la recherche des impuretés, qui apparemment bloquent les conduits. Je le regarde avec l’effroi, comptant les minutes, car chaque bateau qui passe à proximité de nous, constitue une menace de vagues qui vont verser du gasoil non seulement sur mon mari (qu’on peut quand même laver au karcher après) mais surtout dans la cabine, en empestant l’air ambiant du bateau. Patrick sort deux, trois « ficelles » de boue et décide de renfermer. On active nos mains pour mettre en place cette multitude de boulons et de visses et on court en haut pour redémarrer le moteur, sûrs que le problème est enfin résolu. Il tourne la clé, mais rien ne se passe… Je commence à penser que notre voyage va se finir ici, loin de Grèce et de nos copains… mais soudainement Patrick hurle : « les vannes !!! On a oublié d’ouvrir les vannes du gasoil !!! ». Quel soulagement, le moteur tousse un peu au début pour se mettre en route correctement. On repart.





Le château Aragonais d’Ischia Ponte ressemble un peu au Mont Saint Michel, en miniature. Derrière le pont qui le connecte au reste de l’île il a un magnifique mouillage, partagé avec une grande assemblée de bateaux de pêche multicolores et entouré par des rochers et leur végétation abondante. On est dimanche et beaucoup de monde arrive encore dans la baie pour une heure ou deux de baignade et pour remuer un peu la mer, mais bientôt le trafic se calme et nous armons notre zodiac avec son moteur puissant 6 hp, et partons à la rencontre des « Ischiens » et leur joli village.





La nuit tombe doucement et l’éclairage soyeux rend les ruelles presque magiques. Je trouve un peu de bonheur dans une de nombreuses librairies. Même si elle ne proposés des livres qu’en italien, je réussie de dénicher un petit guide de conversations franco-italiens, datant des années quatre-vingt-dix (et qui me coûte quand même 8€). Patrick, fidèle à ses croyances personnelles, qui lui interdisent de quitter un endroit avant de goûter les glaces locales, se perd dans la multitude des saveurs, quand les sons d’une musique entraînant mugissent dans nos oreilles. Comme d’habitude les bras de Julie, levés par une force surnaturelle, commencent à se balancer au-dessus de sa tête, suivis bientôt par ses fesses, qui remuent d’un côté à l’autre. Une pirouette pour se lancer et voilà notre fille se régale au milieu de la rue, dansant au rythme des trompettes et des tambours. Sauf que l’occasion ne se prête pas tellement à la pratique de la danse latino, dont Julie est adepte, car juste derrière les musiciens nous apercevons une sorte de plateforme, sur laquelle se repose tranquillement la statue de la Vierge Marie. Une procession religieuse. L’événement est bien nouveau pour Julie et toute excitée elle nous demande de participer à la manifestation. Nous poursuivons alors la foule pendant un moment, pas tout à fait conscient que notre présence ne passe pas inaperçue : apparemment Kiki est le seul chien participant fièrement à cette fête sacrée…



Le grand feu d’artifices, sûrement lié à la célébration, raccourcit notre visite. On préfère de ramener notre pauvre chienne, toute affolée par les bruits assourdissants, au bateau, pour qu’elle puisse se cacher dans un endroit le plus sombre et le plus difficilement accessible. La houle se lève…



Le lendemain la journée commence sous le signe de guindeau : il faut trouver la panne de notre système d’ancrage avant de poursuivre vers les destinations lointaines, et Patrick passe la matinée dans le petit trou à l’avant du bateau on bougeant les différents fils électriques et en m’impliquant dedans pour observer « si ça bouge de l’autre côté ». Un petit coup de métrix et on identifie le coupable : un des câbles est oxydé et il faut le changer. Une tournée au port d’Ischia s’impose, et pour gagner du temps, nous embarquons dans le zodiac pour une petite virée d’une mille nautique et demi. Nous avons une adresse précise mais l’endroit se trouve à 4 km d’Ischia et on doit faire appel à un taxi. Sur la route Patrick remarque un petit grill sympathique et après notre excursion tellement excitante au magasin d’électricité, nous filons avec nos 5m de câbles droit là bas, pour ressourcer nos corps, fatigués par la chaleur.





Le décor de la taverne est très accueillant et mignon, ce que malheureusement on ne peut pas dire de la serveuse qui nous est attribué (en fait il y en a une seule, je pense). En arrivant à notre table, sans un bonjour (ni rien d’autre), elle pousse les mains de Patrick pour mettre les sets de table et jette deux menus qui tombent avec un claquement sourd sur le bois. Nous échangeons nos regards amusés par cette hospitalité débordante et nous nous plongeons dans la lecture (ou plutôt le décryptage) des noms des plats, écrits bien sûr en italien.
Je commande deux portions de « pollo bianco » (qui pour moi est un équivalent italien de blanc de poulet) avec des « patata frita » (les frites, vous avez devinés), et j’essais de faire comprendre à notre « aimable » interlocutrice, que je souhaiterais compléter notre repas avec une salade de « tomatas » (que je lui montre de doigt, derrière une vitre). Patrick se contant d’un kebab de mouton. Nos plats arrivent assez rapidement mais ne correspondent pas exactement à ce que nous avons pensé, que nous avons commandés : une assiette de frites, une autre avec deux brochettes de porc, de la salade de carottes et des concombres à la mayonnaise, sans la moindre trace de tomates… Pas très grave à la fin : je partage les aliments entre deux assiettes (nous n’avons pas trop envie de déranger la serveuse, vraisemblablement déjà contrariée par quelque chose) et on attend la surprise de Patrick. Elle est plutôt agréable : ses quelques morceaux de kebab de porc (???) sont accompagnés par une pléiade de petits légumes confits, plus colorés les uns que les autres, et  remplissant nos narines d’odeurs savoureuses… C’est un régal pour tout le monde et c’est pour cela qu’on se permet de vous conseiller cette petite merveille. Ne vous fiez pas aux apparences du personnel, la cuisine est simplement délicieuse et pas chère : pour nous 3 – 25€, avec les boissons.

Pour digérer, au lieu de l’eau de vie nous choisissons une bonne promenade au centre de la ville, mais aussitôt la chaleur nous dirige vers le bord de la mer, où une petite brise nous rafraîchit agréablement.  Nous remarquons alors une particularité, très caractéristique pour les plages italiennes : les attroupements de parasols et de chaises longues, de couleurs contrastées, pour séparer les différents clubs. Comme si une loi obligeait l’occupation intégrale du littoral par peur de sa décomposition… 
Bref, arriver au bord de l’eau et ne pas être contraints de payer la « taxe de séjour » nous zig-zagons entre les corps huilés lézardant à l’ombre des parasols, pour arriver enfin vers un petit bout de plage « sauvage ». Julie n’a pas pris son maillot mais cela ne l’empêche sûrement pas de sauter dans les eaux chaudes de la mer. Précédée par Kiki elle saute dans les vagues et je ne me laisse pas prier pour faire la même chose (sauf que moi, j’ai mon maillot sur moi).





Nous rentrons au bateau beaucoup plus zen (certains même un peu trop zen, au point de perdre leur casquette en s’endormant dans le zodiac) : on a bien mangé, bien nagé et surtout on a tout ce qu’il faut pour réparer le guindeau. Pas pour longtemps… Dès que Patrick commence à percer les trous pour passer le nouveau câble, la perceuse ralentit, puis patine dans l’orifice… Je change de pille, mais au moment de remettre la nouvelle, un petit ziguigui qui la connecte à la source d’énergie saute (tout seul) du chargeur m’empêchant de l’installer. L’évidence saute aux yeux : la perceuse est grillée et on ne peut pas continuer sans elle. Les deux Gros et le chien se remettent dans le zodiac, direction port d’Ischia, et moi je décide de ranger un peu avant notre promenade du soir et ma session de photos de nuit du château. Et la soirée arrive très vite, plus vite en tous cas que le reste de la famille. Vers 10 heures je commence à m’inquiéter pour de bon quand j’entends le bruit familier du moteur : Patrick et Julie sont tous joyeux, en racontant l’un et l’autre leurs aventures et la rencontre avec un Italien parlant couramment le français, qui leur a indiqué la bonne adresse pour trouver la perceuse, etc.…. J’ai un peu mal à rester aussi enthousiaste qu’eux, vu que ma soirée était beaucoup moins excitante, mais apparemment elle n’est pas encore finit. Patrick a promis à Julie d’aller à la plage avec sa planche, et notre fille ne se laisse pas décourager par l’obscurité et la fraîcheur de la nuit. Je saute à l’occasion en embarquant en vitesse mon appareil photo et le trépied et on part pour une tournée des plages. Après 10 min on retrouve enfin « leur plage », visiblement très difficile à repérer dans la pénombre, et on s’accoste à un petit ponton flottant couvert de moquette et appartenant au restaurant du coin. Parfait pour moi. Pendant que Julie teste sa planche surveillée par l’œil presbyte de son papa, j’installe le trépied, je règle sa hauteur, place mon appareil au sommet, commence de prendre les mesures de luminosité… quand soudain tout se met à trembler et vibrer. Ce sont les baigneurs nocturnes qui en avisant la température assez réduite de l’air ambiant, décident de rentrer au bateau. « Mais je ne pas encore finis » je gémis, en pensant plutôt : je ne pas encore commencé… Et là Patrick me sort « LA » phrase : « Ce n’est pas pour moi. Regarde ta fille, elle est toute gelée. Penses un peu à elle ». Grrrrrrrrr. Je réussis quand même de prendre deux clichés pendant qu’ils s’installent dans le zodiac et en repart vers Carpe Diem. En colère.







Le nouveau jour efface tous les problèmes : dès le matin on à changer le câble et remis en route le guindeau. Il nous reste l’approvisionnement en pain et la visite obligatoire du château aragonais avant de lever l’ancre. Et à l’entrée de château une nouvelle surprise : il faut payer 10€. Mon cher mari, à l’idée de grimper pendant des heures pour voir des ruines, n’est pas trop chaud. Bien remonté il est plus que prêt à tout abandonner. Mais moi, je m’accroche : ce serai dommage d’être au pied d’un témoin de l’histoire lointaine et de ne pas sentir le souffle des siècles sur le visage. Surtout que la mémoire de ce monument est vielle de presque 2500 ans. Fortin de défense, refuge contre les pirates, prison politique… avec Julie, on sent dans nos veines l’esprit de l’exploration et de l’aventure et nous franchissons le portail massif en fer forgé. On rentre dans un tunnel creusé dans la roche, sombre et humide et je me pose doucement la question : « Qu’est-ce que je fais ici ? », quand au milieu de tous ces éléments de la nature ancienne on arrive devant… un ascenseur !!! Quelle invention fabuleuse ! Des entrailles de la terre on est projetés directement sur terrasses ensoleillées avec des vues panoramiques coupant le souffle. 




Des chapelles, des églises, l’ancien pressoir pour la vinification, une prison bourbonienne… Dans la Maison du Soleil nous découvrons des œuvres d’art moderne exposées à côté des vestiges des époques passées et le sentier du Soleil nous offre une vue incomparable sur la mer et les îles avoisinantes. Julie s’amuse en comptant les animaux rencontrés sur le chemin : les papillons, les chats, les pigeons, les lézards… A un moment je vois un énorme lézard traverser notre route et je dis à Julie : « Regarde là, un gros ! » A ce moment le reptile disparait sous les buissons et à sa place un homme très grand, maigre et torse nu apparaît. Julie le regarde une seconde pour en conclure : « Ah ouais… ». « Mais non, pas lui » je n’arrive pas garder mon sérieux et on éclate toutes les deux de rire. C’est sûr, même si la plus petite des Gros bientôt ne se rappellera plus de décombres du château aragonais, l’homme-lézard va rester gravé dans sa mémoire pour longtemps…





On rigole encore en retrouvant Patrick en bas de la citadelle et en regardant avec une certaine nostalgie les préparatifs de la fête de Ste Anne (le 26 juillet) qui est en même temps la plus grande célébration de la mer, avec ses spectacles sur des plateformes flottantes, nous nous dirigeons vers notre fidèle Carpe Diem. Des nouveaux horizons nous attendent. Il est temps de partir…