Qui sommes nous...

Les trois Gros et Kiki le chien... Nous vivons à bord d'un voilier nommé Carpe Diem, et pour être à la hauteur de cette devise horacienne, nous partons à l'aventure et à la rencontre de la nature sauvage, des paysages uniques et bouleversants et des gens, dans toute leur diversité...

jeudi 11 août 2011

Capri : destination à 215€ la nuit






Nous disons au-revoir au Château Aragonais et aux barques multicolores d’Ischia Ponte et nous partons vers Capri, cette fameuse destination bien branchée. Il y a juste assez du vent pour mettre les voiles et ne pas renverser la rougaille fumant sur la table et faite avec les saucisses datant encore de Porto Vecchio. Heureusement que les chipolatas ne daubent pas vite, car les entrailles de notre frigo ont tendance de pousser des nombreux aliments aux oubliettes…



La traversée est assez courte et très vite nous apercevons les détails des couleurs… ou plutôt leur manque… Une montagne verte pâle et quelques tâches blanches des maisons. L’ensemble est assez terne comparés aux îles Pontines ou à Ischia, mais nous savons bien que la première impression peut être trompeuse. Nous jetons alors notre ancre dans la zone de mouillage à droite de la marina, à quelques 22 m de profondeur (ben oui, même si Capri est d’origine calcaire et non volcanique, ces fonds restent très profonds).



Il est déjà 8 h du soir alors nous ne perdons pas notre temps et filons en zodiac sur la terre ferme. Les environs du port sont vraiment mignons, même si les uns après les autres, les commerçants plient déjà leurs boutiques. Cela nous étonne un peu, mais bon, chaque île a peut-être ses propres coutumes… Pour l’instant nous partons à la recherche du funiculaire que Patrick a aperçu de loin, et qui nous emmènerai vers les hauteurs et la vieille ville de Capri. L’entrée de funiculaire se trouve à quelques 200m à droite du port et nous nous précipitons tous excités, avec nos billets (1.60€ aller simple), vers le dernier wagon de téléphérique. Malheureusement une sorte de brume épaisse nous gâche la vue des paysages : tout paraît fade et dépourvu des couleurs (je vous assure ce n’est pas la faute des vitres opaques). On arrive au sommet.








Si on cherchait une Rolex pour Patrick ou un nouveau collier de diamants pour moi (l’ancien est un peu démodé) on serait sûrement au bon endroit. A part la place principale avec son église et une horloge, qui donnent l’impression plutôt décontractée, le reste du décor est bien plus snob, plus bling-bling, plus… tout. On n’a pas la carrure des clients potentiels qui achètent une bouteille de vin à 400€ alors on se faufile anonymement dans les ruelles étroites et piétonnes (ce qui nous interpelle d’ailleurs : on croise beaucoup d’hôtels de 4 ou 5 étoiles dans la vielle ville, mais pas une seule voiture… ils doivent y avoir des passages secrets…). On se promène sans trop de conviction et je suis désolé pour tous ceux qui ont visité et adoré Capri, mais nous avons du mal à accrocher: en deux heures le tour est fait et nous préférons retourner sur le bateau. De retour sur la place principale nous jetons un dernier coup d’œil sur le panorama vu d’en haut, et là, à mon plus grand effroi, nous apercevons des nuages très très noires à l’horizon, illuminés de temps à autre par les éclats menaçants des éclaires. Un orage…

De retour chez nous on mange vite un petit diner et on se prépare pour la nuit. Je ne peux quand même pas m’empêcher de jeter des regards furtifs vers le ciel et les nuages denses, éclaires par les décharges électriques. « Ne t’inquiètes pas » essai de me rassurer Patrick, « ces orages sont sur le continent, on a rien à craindre ». Parles-moi encore. Une fois la peur installé, je n’arrive pas à m’en débarrasser si vite.

Le sommeil ne veut pas venir. Toutes les 10, 15 min je regarde par la fenêtre en guettant les signes du cataclysme imminent. A part les éclaires, c’est au tour du vent et de la mer de se lever et j’ai l’impression que la chaîne devant va nous lâcher d’une minute à l’autre, tellement ses grincements sont horribles et pleins d’efforts. Vers 4 heures du matin j’ai du m’assoupir un instant car c’est Patrick qui me réveille : « Viens vite, on va au port. L’orage arrive droit sur nous».  Je m’habille machinalement en bien fermant ma veste polaire. Dehors il pleut. En rangeant les affaires on voit un autre bateau, mouillé beaucoup plus loin, passer en vitesse devant nous et éviter de justesse les rochers. L’équipage est déjà dehors et bien à temps ils réussissent à lever l’ancre et de partir vers le port. Quelle nuit…

Les nuages semblent nous contourner un peu et on décide d’attendre. Patrick ramène des tasses de café fumantes et on s’installe dans le cockpit, entourés par la nuit sombre, le vent et les vagues. Vers 6h les mouvements du bateau deviennent insupportables : on a l’impression que la chaîne va céder, tellement elle travaille pour retenir l’avant du bateau, projeté dans les aires par les vagues immenses. On doit partir le plus vite possible.
Au moment de lever l’ancre j’aperçois notre voisin français émerger de son bateau. Je lui fais comprendre avec le langage des signes qu’on va s’abriter au port et il me répond qu’il va faire la même chose bientôt. Il y a à peu près 30N de vent maintenant, mais ce sont plutôt les vagues qui m’impressionnent : nous sommes obligés de pousser la manette du moteur à fond pour pouvoir avancer.  



En arrivant au port nous repérons vite le « ponton d’accueil » et les deux places libres entre un voiler de notre taille et un gros, gros bateau à moteur, bien luxueux. Une petite consultation d’équipage et nous nous lançons dans la procédure d’amarrage. Sur le quai, malgré cette heure matinale il y a déjà trois hommes prêts à nous donner un coup de main. Sympas ces Capriçois… Ils me tendent la pendille que j’attrape habilement avec la gaffe. Je cours à l’avant et je tire, je tire, je tire… au bout de vingt mètres de ficelle, je commence sérieusement à me demander s’il y a quelque chose au bout. Le temps d’une réponse le bateau se tourne dangereusement et se couche sur le molosse à moteur. Je retiens mon souffle en comptant dans ma tête les milliers d’euros qu’on va être obligés d’avancer pour dédommager ce voisin fastueux. Mais le bon Dieu nous épargne au dernier moment en envoyant les par-battages la où il faut. OUFFFFFF…. Patrick arrive en courant (d’abord en colère mais il se calme vite en voyant les rouleaux du fils à tricoter que j’ai ramené à bord) et on tire ensemble les derniers mètres pour arriver enfin à la pendille. Le bateau se redresse et nous pouvons souffler à nouveau. Tout se calme, sauf peut-être le bateau lui-même, qui est balloté presque autant qu’à l’extérieur…

Une heure plus tard le bateau de nos voisins de mouillage arrive enfin, convoyé par les mêmes employés qui nous ont aidés plus tôt. En plus un plongeur en combinaison de travail ramène le zodiac, l’amarre et disparaît aussi vite. Tout ce passe très rapidement et le ponton est à nouveau désert, avec ce bateau français en face de nous, ouvert et sans personne à bord… Mon imagination se lâche en tournant à 100 à l’heure : et si les messieurs-dames sont tombés à l’eau, ou s’ils sont partis dans leur survie, emportés maintenant bien au large… ?
L’énigme se résout une demi-heure plus tard, quand le couple de Français arrive sur le ponton sain et sauve. En fait, pour assurer leur mouillage, ils ont pris une bouée de pêcheurs et au petit matin les bouts de la bouée se sont emmêlés à l’ancre pour enfin se bloquer dans l’hélice du moteur. Quelle chance qu’ils ne se soient pas retrouvés sur les rochers… mais le bateau doit subir quand même quelques réparations majeurs et il y a sûrement des endroits moins chers pour cela que Capri…
La vie se calme à nouveau dans le port de Capri, et je profite pour faire un peu de lessive et de ranger l’intérieur de notre habitacle. Comme on vit principalement à l’extérieur, dans le cockpit, on a la fâcheuse tendance d’oublier la place habituelle des choses qui sont maintenant éparpillées partout.  On est bien chahutés, même amarrés au quai, quand soudainement tout se met à bouger dans tous les sens : on monte, on descende, à droite, a gauche… On court sur le pont pour voir ce qui se passe : ce n’est qu’un des innombrables ferries qui rentrent et sortent du port à vive allure, en faisant valser tout le monde.



Pour comprendre la brutalité de ce phénomène il faut savoir que le système de construction de ce port des riches est basé uniquement sur les pontons flottants. Et le mot « flottant » prend un nouveau sens à Capri. Même si le temps est calme, il  faut éviter tous gestes brusques, surtout au niveau des jointures, qui ont l’air de vouloir se dissocier à tout moment. Mais par gros temps, et en présence d’un ferry, il devient carrément impossible de se tenir debout sur ce dispositif, qui non seulement se lève et descend, mais aussi bascule d’un coté à l’autre et gondole comme un tapi secoué… A un moment Julie me demande si elle peut faire la route jusqu’à la sortie du port à quatre pattes. Je lui réponds non, mais à vrai dire, cette idée a fleuri également dans ma tête.



Pendant ce temps les trois mousquetaires de la capitainerie du port de Capri sont revenus sur le quai et une discussion avec l’équipage du bateau voisin s’anime. Nous ne suivons pas les détails mais soudain un des marins italiens saute sur le bateau, démarre le moteur et en donnant les ordres au jeune équipage hollandais, déplace le bateau à l’intérieur du port (plus tard nous apprenons que les jeunes voulaient partir en mer, compte tenu qu’ils ont loués ce bateau pour faire de la voile ; les responsables du port ont néanmoins intimidés l’équipage, en disant ils ne pourraient plus jamais s’arrêter sur Capri, s’ils partaient, etc.…). Ensuite, il nous montre de doigt en disant « C’est votre tour ». Cette attitude est tellement agaçante que Patrick a la présence d’esprit de répondre : « On ne peut pas. Nos batteries sont complètement à vide, il faut qu’on les charge ». Ils nous laissent tranquilles pour le moment et on profite vite pour prendre la deuxième pendille. Nous décidons de ne plus quitter cette place, aussi pourrie soit-elle (de toute façon les autres places ne sont pas meilleures – voilà les avantages des pontons flottants). En même temps Patrick fait face au moment de vérité tant reflué : la régularisation de notre séjour ici, et à son retour nous ne sont pas déçus et avalons pas tout à fait dignement les 215€ par nuit…

En milieu d’après-midi nous commençons petit à petit à nous habituer aux mouvements hasardeux et de grand ampleur de notre navire et on se dit qu’on n’est pas aussi mal de ce côté du port. Je sors ramasser notre linge, qui a séché à une vitesse grande V, quand je discerne non loin du port un catamaran se battant rageusement avec les vagues. « Viens voir – je préviens Patrick – on va avoir des voisins. Il faut leur préparer une pendille ». Je détache un de nos par-battages pour « au cas où » pendant que Patrick entreprend le fatiguant travail de ramasseur de ficelle qui sépare le quai de la vrai pendille. Le « tissage » terminé on attend patiemment et sereinement quand un nouveau marin, les mains dans les poches, fait son apparition sur « notre » ponton. « Vous faites quoi avec cette pendille – demande t’il en italien (mais on arrive très bien le comprendre) – vous en avez déjà deux ». « Ce n’est pas pour nous – je tente de le calmer – c’est pour les voisins ». « Les voisins ce n’est pas votre problème. Laissez ça !», aboie le marin en poussant avec son pied tous ces tours de corde si bravement récupérés. Encouragé par notre manque de réaction quelconque (en fait on était en train de se demander s’il n’était pas dérangé par hasard), il continue : « Et votre chien, qu’est-ce qu’il fait sur le quai ? Et pourquoi il n’a pas de muselière ? ». Comme la « coupable » était en train de dormir tranquillement derrière une borne d’électricité, on a envie de lui conseiller de se concentrer plutôt sur le bateau qui entrait dans le port, mais au lieu de ça Patrick siffle doucement pour appeler Kiki. Le grand cata est maintenant à quelques mètres de quai, et le marin se baisse enfin pour ramasser… notre pendille. « Non !!! – crie t’on en chœur – ce n’est pas la bonne !!!». Le temps de réparer son erreur il est trop tard pour prévenir le capitaine du catamaran de la présence d’une bouée et de son bout, qui se trouvent aspirés par un des moteurs. Le bateau tourne autour de cet axe imposé et s’approche dangereusement des rochers à côté. On essai de leur venir en aide en attrapant les bout lancés dans un geste de désespoir et on entend le marin crier dans son talkie-walkie : « A l’aide ! Venez vite, venez vite !!! ». Il n’a plus l’air aussi malin…

A un moment, quand nous avons pensés qu’il a réussi de se libérer de ses liens, le catamaran tend tous les bouts et revient en travers, directement sur nous. Je cours vers l’avant et mets mon par-battage en espérant vainement que ce petit bout de caoutchouc de 40cm de diamètre pourra retenir une force furieuse d’un Catana 472. Il n’a pas pu…Avec un bruit métallique un des flotteurs rentre entre dans le davier de l’avant, en coinçant mon tibia vers le support d’enrouleur de génois. Je m’imagine déjà le bleu (qui s’ajoutera aux autres : la pratique de la voile me donne des couleurs) et Patrick rajoute par-dessus un petit serrement, comme quoi j’ai eu beaucoup de chance d’avoir pu sortir ma jambe toujours attaché au corps…
Le combat du Catana n’est pas encore fini. Malgré une douzaine de personnes rassemblées maintenant sur le quai, il tape de toutes ses forces contre les supports en fer fortifiant le ponton flottant. Le bruit est presque insupportable : pas à cause de son intensité, mais à cause de dégâts qu’il signifie. Les Italiens se grouillent sans grande efficacité, mais au bout d’une demi heure ils arrivent à attacher le bateau à peu près correctement, pour disparaître aussi tôt de notre vue. Le capitaine de cata, un Français, et sa famille sont bien épuisés et on ne les embête pas trop avec le constat et toute la paperasse et le soir ce sont eux-mêmes qui nous demandent des nouvelles. Notre avant est bien défoncée et l’enrouleur n’arrive plus à travailler correctement. En plus les chandeliers sont tous tordus suivant un schéma trop compliqué à analyser. Les papiers dûment remplis, Patrick passe à la capitainerie pour demander la main courante, procédure assez habituelle pour les compagnies d’assurances. Mais une nouvelle surprise l’attend : « L’accident ? Quel accident ? Il n’a jamais rien eu » lui répond calmement le maître de port…



Nous n’allons pas vous dire : « N’allez jamais à Capri ! ». A vous de décider et de découvrir les endroits qui vont vous émouvoir. Mais on va sûrement vous dire : « N’allez pas à Capri avec votre bateau !!! ». Laissez-le amarré quelque part, à Ischia, ou à Ponza, et prenez une navette, pas tellement chère, pour découvrir les paysages de Capri. Ne tentez pas le diable, caché derrière les paillettes, les Rolex et des colliers de diamants.
« Capri, c’est fini… » oui, au moins pour Carpe Diem…

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